Le vocabulaire régional bien vivant.
Le vocabulaire de la boucherie fournit bon nombre d'exemples susceptibles de désarçonner tout commerçant allogène. Ainsi, sont couramment employés les mots araignée « morceau de bœuf », camajot « jarret de porc », carbonnade « rouelle de veau », coustilles « haut des côtes du porc », magret « filet de canard gras », palanque « flanchet » ou « bavette », ventrêche « lard de la poitrine ». Le gascon camajàt, dérivé de cama « jambe », carbonada « grillade », costilhas, forme diminutive de costas « côtes », magret, forme diminutive de magre « maigre », palanca « planche », et ventresca, dérivé de ventre « ventre », expliquent bien sûr ces dernières formes.
Par ailleurs, le chabrot « reste de bouillon que l'on boit à même l'assiette après y avoir ajouté du vin rouge », la chocolatine « pain au chocolat », la cruchade, l'escauton, et le millas « bouillies de farine de maïs ou de millet », la garbure « soupe aux choux et aux légumes enrichie de confit », le gras qui désigne collectivement les oies et les canards gavés, les gratons « rillons » qui en résultent, l'onture « saindoux », le tourrin « soupe à l'ail », et les tricandilles « tripes grasses de porc que l'on mange grillées, à Bordeaux » rendent compte de l'originalité du lexique lié à la cuisine, dont l'étymologie n'est malheureusement pas toujours assurée.
Vedettes de la gastronomie locale, la palombe « pigeon ramier », la pibale « anguille au premier stade de son développement » et le royan « sardine fraîche », sont intimement liés au patrimoine régional.
Certains ustensiles de cuisine et autres objets de la vie domestique ou spécifiques d'un milieu (la vigne) relèvent également d'une terminologie locale. On peut citer, entre autres, baillot « panier utilisé pendant les vendanges », canne « broc métallique utilisé dans les chais à vin », cantine « bombonne », carrotte « pot en grès pour le confit », dail « faux », gardale « terrine » (proche parente du vieux français graal), gueille ou perrac « chiffon quelconque » qui ont engendré les métiers de gueille-ferraille et perraquet « chiffonnier », et enfin poche dont l'acception locale « sac en papier ou en plastique » est bien éloignée de celle du français standard de l'Académie.
La lecture d'un paysage permet en outre d'évoquer d'autres termes liés à la topographie, la végétation, l'occupation du sol ou l'habitat, puisés également au vieux fonds lexical gascon. On retiendra, parmi les plus courants : andronne « passage étroit entre deux maisons », baïne « sillon creusé par l'Océan sur le littoral », barragane « poireau sauvage qui pousse dans les vignes » (également synonyme par le truchement d'une évolution sémantique obscure de « cuite, ivresse »), berle « bas-fond marécageux des landes du Médoc », borderie « petite métairie dans un vignoble », chartreuse « maison bourgeoise sans étage et bâtie en longueur », crassat « banc de vase dans le Bassin d'Arcachon », craste « grand fossé creusé pour le drainage dans les landes humides », dalle au sens de « chéneau horizontal qui reçoit les eaux d'un toit », échoppe « petite maison bordelaise caractéristique », estey « ruisseau qui se jette dans le fleuve », garbaye « aiguilles de pin sèches sur le sol » et gemelle « copeau résineux de bois de pin », Jalle « petit cours d'eau, dans le Médoc », jaugue « ajonc épineux », lette ou lède « creux entre deux dunes », mascaret « vague déferlante qui remonte le fleuve au moment de la marée », palu « anciennes terres marécageuses asséchées et mises en culture », pignada « forêt de pins », quartier au sens de « hameau », rège « rangée de vignes », et enfin, vergne « aulne » et vime « osier ».
Entendus régulièrement dans la conversation courante, les mots chaffre « sobriquet », cusson « ver du bois », débauche au sens de « fin du travail quotidien » (antonyme d'embauche), eau synonyme de Garonne (il habite de l'autre côté de l'eau), gnac « morsure » mais également « mordant », hart « rassasié, saoul », margagne « maille lâchée dans un ouvrage de tricot », et moustous « sale, barbouillé » ne peuvent être passés sous silence, pas plus que la fonction très localisée de Michel-Morin désignant, à Bordeaux, un homme à tout faire.
Des tournures ou des emplois qui diffèrent.
Cet aperçu très succinct du parler régional bordelais souligne le caractère original d'une terminologie largement tributaire de l'héritage roman mais également des dialectes antérieurs à l'occupation romaine par l'intermédiaire du gascon dont il émane,
Mais ce legs apparaît aussi en filigrane dans la morphologie et dans la syntaxe, On rappellera donc, en résumé, les emplois les plus caractéristiques que sont le datif éthique dans les expressions il se la mange, elle s'accouche ou il s'enterre ; l'emploi intransitif des verbes aider et sentir dans il leur aide à faire les foins, ça sent à l'ail ; l'emploi transitif dans la locution vous ne l'avez pas besoin ; l'absence d'article devant le nom du fleuve : je vais à Garonne, les terres sont meilleures sur Garonne ; les emplois, avec des acceptions différentes, du verbe faire, dans s’y faire « faire des efforts » et faire à « jouer à », faire la chine « faire du commerce de porte en porte », faire collation et faire quatre heures « goûter », faire deuil « être l'objet de regrets » (en parlant de choses).
Par ailleurs, la sémantique des verbes empruntés au français peut changer. Ainsi attraper prend le sens de « cueillir » (tu peux m'attraper ces cerises ?), mais aussi de « coller » (les lentilles ont attrapé au fond de la casserole), alors qu'employé intransitivement il signifie « atteindre » (je ne peux y attraper), Cabaner ou mettre en cabane traduit, en Bordelais, le fait d'entrebâiller les volets, et calculer est synonyme de « réfléchir ». Connaître a des acceptions différentes dans les expressions il ne se connaît plus « il perd son sang-froid », ce n'est pas de connaître « ce n'est pas visible », et il s'est connu jusqu'à la fin « il a gardé sa connaissance ». Circonscrites à ce même secteur linguistique, on relève enfin des expressions et locutions aussi savoureuses que trouver de manque pour noter l'absence de quelque chose, se sang-glacer « se congestionner », sortir de « être originaire de », être trempe « être trempé », et vouloir, employé comme semi-auxiliaire, avec un infinitif, pour exprimer un futur proche dans il veut neiger, par exemple.
Texte extrait de Gironde, Encyclopédie Bonneton, 2002, Bénédicte Boyrie-Fénié, p.180-182.